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Biographie d’Edmond Paul

Edmond Paul est né à Port-au-Prince le 8 octobre 1837. Son nom complet est Alexis Frédéric Edmond Paul.21 Il grandit dans un milieu privilégié, aux premières loges des rouages du gouvernement de la jeune nation.

Son père, Jean Paul (1800-1872), né à Léogâne, avait eu l’occasion d’étudier à Port-au-Prince auprès du général Inginac, secrétaire général des présidents Pétion et Boyer.22 Inginac le prit sous son aile et il gravit rapidement les échelons de l’administration publique, avant de s’orienter vers une carrière politique. Jean Paul a occupé de nombreux postes tout au long de sa vie : administrateur financier de Port-au-Prince, sénateur, maire de Port-au-Prince, membre de l’Assemblée constitutionnelle, ministre de l’Intérieur et de l’Agriculture, ministre de la Guerre et de la Marine, président du Conseil des ministres et général de division des forces armées.23 Il se procurait des revenus supplémentaires grâce à ses activités dans le commerce de l’acajou.24 L’épouse de Jean Paul, qui fut la mère d’Edmond Paul, s’appelait Charlotte Plésance ; le frère de Charlotte, Victorin « Edmond » Plésance, était professeur au Lycée national et devint plus tard ministre des finances.25 Edmond Paul, qui porte le nom de cet oncle maternel, est le troisième des quatre enfants de Jean et Charlotte.26 Son parrain et cousin, Charles Alerte, deviendra un général influent.27 

Général Jean Paul28

Sur le plan de la personnalité, Paul a la réputation d’être plutôt réservé. Physiquement, il est de haute taille29 et, du point de vue des catégories raciales, il est noir. En termes de classe sociale, il est riche30 et instruit.

Les premières études d’Edmond Paul sont confiées à Sauveur Faubert et à Daguessau Lespinasse.31 En 1852, il est envoyé en France pour y poursuivre ses études.32 Il y termine d’abord ses études secondaires au collège Rollin, puis étudie les sciences politiques sous la direction de Michel Chevalier.33

À la fin de ses études, Edmond Paul rentre au pays en 1860.34 Dès l’année suivante, il commence à influencer l’opinion publique. Son premier ouvrage majeur est Questions politico-économiques, dans lequel il expose une vision à long terme de l’amélioration du système éducatif haïtien, qu’il considère comme nécessaire à la fois pour la croissance économique et pour surmonter les divisions de classe dans la société. Toujours en 1861, il envoie au gouvernement une proposition de politique industrielle, dont il publie une partie dans le journal officiel de l’état, Le Moniteur.35

Cet article déclenche un débat avec un partisan du libre-échange, A. Monfleury. Leurs échanges – y compris deux réponses de Paul à Monfleury, De l’industrie dans les villes et L’éducation industrielle du peuple, ou la protection due aux industries naissantes, toutes deux en 1862 – deviendront le premier grand débat sur l’économie haïtienne qui reste dans les annales.36 Toujours en 1862, il publie un article supplémentaire dans Le Moniteur, en faveur de l’interdiction constitutionnelle pour les étrangers de posséder des terres en Haïti.

En 1863, Paul publie un deuxième tome de Questions politico-économiques, où il insiste à nouveau sur ses idées concernant l’industrialisation, et un troisième tome consacré à la politique monétaire. Les idées qu’il expose alors sont essentiellement celles qu’il essaiera de mettre en œuvre tout au long de sa vie.37 En 1865, il ouvre une fabrique de savon, la Manufacture des Savons d’Haïti, qu’il fonde avec un associé nommé Delva.38

Mais sa véritable vocation est la politique. Edmond Paul commence sa carrière en 1870, lorsqu’il cofonde le Parti libéral avec Jean-Pierre Boyer Bazelais et devient député de Port-au-Prince. Il occupe ce poste jusqu’en 1875, ayant été réélu pour un second mandat en 1873.

Le Parti libéral, qui dispose alors d’une majorité parlementaire, parvient alors à assainir les finances de l’État et à promulguer une réforme monétaire majeure, en supprimant le papier-monnaie imprimé par le gouvernement, qu’ils accusent d’être à l’origine de l’inflation et de l’emballement du taux de change. Bien que leur politique monétaire ait été couronnée de succès,39 leur contrôle strict des dépenses publiques40 a suscité une forte opposition, en particulier au cours de leur second mandat.41

Comme beaucoup de ses collègues engagés en politique, et comme son père,42 Edmond Paul était franc-maçon.43 Il était aussi pompier volontaire.44 La plupart des gens le connaissent comme rédacteur et gérant du journal du Parti libéral, Le Civilisateur, publié entre 1870 et 1874.45 Il a également collaboré à un autre journal, l’Unité Nationale, en 1870.46

Paul et ses collègues utilisent Le Civilisateur pour diffuser leurs idées et faire connaître leurs activités ; avec Le Moniteur (dirigé par son rival A. Monfleury),47 Le Civilisateur nous offre un bon aperçu de la vie politique de l’époque, et des controverses qui la rythment. Un débat notable paru dans Le Civilisateur en 1870 oppose Edmond Paul à son collègue libéral (dont lequel il s’éloignera plus tard), Armand Thoby,48 au sujet de l’agiotage.49 La presse du journal publie la même année la brochure d’Edmond Paul contre la corruption, Le salut de la société.

L’adversaire politique des libéraux, Michel Domingue, devient président en 1874. En mai 1875, Domingue accuse les dirigeants libéraux de comploter contre lui. Deux d’entre eux meurent en résistant à leur arrestation50 ; d’autres, dont Edmond Paul, sont expulsés du pays.51 Edmond Paul, Boyer Bazelais et d’autres exilés libéraux trouvent refuge à Kingston, en Jamaïque.52 C’est à cette époque que les divisions au sein du Parti libéral commencent à se faire sentir.53 Toujours à Kingston, en mars 1876, Paul publie De l’impôt sur les cafés.

En avril de la même année, Domingue lui-même arrive à Kingston en tant qu’exilé, et Paul retourne en Haïti avec le reste de son groupe. Aux élections législatives de mai 1876, il redevient député.54 En juillet, Pierre Théoma Boisrond-Canal (qui était, avec Thoby, dans le camp libéral opposé à celui de Boyer Bazelais et Edmond Paul) devient président.

Boisrond-Canal propose à Boyer Bazelais et à Paul des postes de ministres, mais ils refusent.55 Ils préfèrent se consacrer à leur rôle de législateurs. Paul dirige une enquête sur un emprunt contracté par Domingue en 187556 ; cette enquête lui vaut de nouveaux ennemis en mettant au jour un scandale de corruption.57

Le 23 mai 1877, Edmond Paul propose à la Chambre des représentants six lois destinées à développer l’économie, principalement par l’industrie, mais aussi par l’agriculture.58 La proposition centrale consiste à stimuler l’industrialisation par substitution des importations, notamment par le biais de protections temporaires contre la concurrence étrangère.59 En août, ce projet de loi a été approuvé par la Chambre des représentants.60 Cependant, au Sénat, il se heurte à l’opposition de Thoby, Florvil Hyppolite et d’autres ; le Sénat refuse finalement de le voter.61

Toujours en 1877, Paul écrit « Patriotisme et conscience » en réponse à certains de ses détracteurs, et devient membre du conseil d’administration d’un lycée modèle, dont il est également l’un des patrons-fondateurs.62 En 1878, il est élu maire de Port-au-Prince, où il siège déjà au Conseil d’arrondissement, en plus d’être réélu en tant que représentant à la Chambre.63 La participation de Paul au gouvernement s’accroît, mais elle sera bientôt interrompue pour la deuxième fois.

Le 30 juin 1879, Boyer Bazelais et Edmond Paul mènent une insurrection armée contre le gouvernement de Boisrond-Canal, qui s’ést allié au Parti national contre la faction du Parti libéral de Boyer Bazelais.64 Au 3 juillet, Boisrond-Canal a maîtrisé par la force la menace immédiate.65 Boyer Bazelais et Edmond Paul rentrent en Jamaïque en tant qu’exilés.66

Boisrond-Canal n’est pas en mesure de contrôler les troubles qui se sont étendus au Nord67 ; il quitte le pouvoir le 17 juillet. Après un court gouvernement de transition, le Parti national prend le relais et élit Lysius Salomon comme président.68 Depuis Kingston, en 1880, Paul écrit Haïti au soleil de 1880, où il critique la création par Salomon d’une banque nationale à capitaux étrangers. En 1882, toujours depuis la Jamaïque, il écrit La force publique en Haïti, et Les causes de nos malheurs.

En 1883, Paul soutient – sans la rejoindre – une révolte menée par des exilés qui envahissent Miragoâne, dont Boyer Bazelais. Salomon réprime la révolte.69 Peu après l’échec de l’insurrection, Paul écrit « Étude politique. Haïti et les intérêts français ».70 Le 18 juillet 1888, toujours à Kingston, il écrit Un jugement sur Haïti. Salomon quitte la présidence plus tard dans l’année.

Après une lutte pour le pouvoir, Hyppolite, ami personnel d’Edmond Paul71 (malgré leur désaccord en 1877), devient président en octobre 1889. Il nomme le collègue libéral de Paul, Anténor Firmin, au cabinet et, en novembre, il accorde l’amnistie à tous les exilés. Edmond Paul peut retourner en toute sécurité en Haïti et réinvestir la vie politique.

En mai 1890, Edmond Paul est élu au Sénat.72 En 1891, il publie un rapport tiré des archives de Boyer Bazelais sur la politique monétaire pendant la période des années 1870 où ils l’avaient réformée. En 1892, il est rapporteur d’une commission sénatoriale qui publie un autre rapport comprenant cette fois une histoire de la politique monétaire en Haïti depuis l’indépendance, ainsi que sa propre contribution au débat au Sénat. La même année, il rédige un plan de gouvernement détaillé.

Pendant son mandat de sénateur, la maladie commence à affecter la capacité de travail d’Edmond Paul.73 Le 28 octobre 1892,74 il se rend à Kingston75 et y meurt d’une anémie progressive76 le 18 juin 1893,77 à l’âge de 55 ans. Sa dépouille est embaumée et envoyée à Port-au-Prince pour y être enterrée.78 Le Moniteur remarqua que la foule nombreuse et distinguée qui assista aux funérailles du 10 juillet, malgré le mauvais temps, était le signe « qu’Haïti venait de perdre un de ses fils réellement utiles, un de ses hommes politiques tout à fait considérables ».79 Certaines de ses œuvres et notes restantes ont été publiées à titre posthume.80 Le 8 février 1897, un monument funéraire fut inauguré avec plusieurs discours à sa mémoire.81

Carte postale montrant la « tombe du patriote Ed. Paul » à Port-au-Prince82